1. L'amitié
Et un jeune dit : parle-nous de
l'amitié.
Et il répondit, disant :
Votre ami est votre besoin qui a trouvé une
réponse.
Il est le champ que vous semez avec amour et moissonnez
avec reconnaissance.
Il est votre table et votre foyer.
Car vous venez à lui avec votre faim, et vous cherchez en
lui la paix.
Lorsque votre ami parle de ses pensées vous ne
craignez
pas le "non" de votre esprit, ni ne refusez le
"oui".
Et quand il est silencieux votre coeur ne cesse d'écouter
son coeur;
Car en amitié, toutes les pensées, tous les désirs,
toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots,
dans une joie muette.
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous désolez
pas;
Car ce que vous aimez en lui peut être plus clair en son
absence, comme la montagne pour le randonneur est plus
visible vue de la plaine.
Et qu'il n'y ait d'autre intention dans l'amitié que
l'approfondissement de l'esprit.
Car l'amour qui cherche autre chose que la révélation de
son propre mystère n'est pas l'amour, mais un filet jeté
au loin : et ce que vous prenez est vain.
Et donnez à votre ami le meilleur de vous-même.
Et s'il doit connaître le reflux de votre marée, laissez
le connaître aussi son flux.
Car qu'est-ce que votre ami si vous venez le voir avec
pour tout présent des heures à tuer ?
Venez toujours le voir avec des heures à faire
vivre.
Car il est là pour remplir vos besoins, et non votre
néant.
Et dans la tendresse de l'amitié qu'il y ait le rire et
le partage des plaisirs.
Car dans la rosée de menues choses le coeur trouve son
matin et sa fraîcheur.
2. L'amour
Alors al-Mitra dit : parle-nous de
l'amour.
Il leva la tête et regarda la foule sur laquelle un grand
silence s'était abattu. D'une voix assurée, il dit:
Quand l'amour vous fait signe, suivez-le,
Bien que ses chemins soient raides et ardus.
Et quand il vous enveloppe de ses ailes, cédez-lui,
Même si l'épée cachée dans ses pennes vous blesse,
Et quand il vous parle, croyez en lui,
Même si sa voix brise vos rêves comme le vent du nord
dévastant un jardin.
Car si l'amour vous couronne, il vous crucifie aussi. Et
s'il est pour votre croissance, il est aussi pour votre
élagage.
De même qu'il s'élève à votre hauteur pour caresser vos
plus tendres branches frémissant dans le soleil,
Il descend jusqu'à vos racines et les secoue de leur
adhérence à la terre.
Telles des gerbes de blé, il vous ramasse et vous serre
contre lui.
Il vous vanne pour vous dénuder.
Il vous tamise pour vous libérer de votre
enveloppe.
Il vous pile jusqu'à la blancheur.
Il vous pétrit jusqu'à vous rendre malléables;
Puis il vous assigne à son feu sacré afin que vous
deveniez pain sacré au festin sacré de Dieu.
Tout cela, l'amour vous le fait subir afin que vous
connaissiez les secrets de votre coeur et, au travers de
cette connaissance, deveniez fragment du coeur de la
Vie.
Mais si, pusillanimes, vous ne recherchiez que la paix de
l'amour et sa volupté,
Mieux vaudrait pour vous couvrir votre nudité et sortir
de l'aire de l'amour,
Pour pénétrer dans le monde sans saisons en lequel vous
rirez, mais pas de tout votre rire, et pleurerez, mais
pas de toutes vos larmes.
L'amour ne donne que de lui même et ne prend que de
lui-même.
L'amour ne possède pas et ne saurait être possédé.
Car l'amour suffit à l'amour.
Lorsque vous aimez, vous ne devriez pas dire : "Dieu est
dans mon coeur", mais plutôt : "Je suis dans le coeur de
Dieu."
Et ne croyez pas qu'il vous appartienne de diriger le
cours de l'amour, car c'est l'amour, s'il vous en juge
dignes, qui dirigera le vôtre.
L'amour n'a d'autre désir que de s'accomplir.
Mais si vous aimez et ne pouvez échapper aux désirs,
qu'ils soient ceux-ci :
Vous dissoudre et être comme l'eau vive d'un ruisseau
chantant sa melopée à la nuit,
Connaître la douleur d'une tendresse excessive,
Recevoir la blessure de votre conception de
l'amour,
Perdre votre sang volontiers et avec joie,
Vous réveiller aux aurores, le coeur ailé, et rendre
grâces pour une nouvelle journée d'amour,
Vous reposer à l'heure du méridien et méditer l'extase de
l'amour,
Revenir à votre foyer le soir, avec gratitude,
Puis vous endormir avec au coeur une prière pour l'être
aimé et sur vos lèvres un chant de louange.
3. Le mariage
Al-Mitra reprit la parole. Elle demanda :
maître, que dire du mariage ?
Il répondit :
Ensemble êtes-vous nés et ensemble resterez-vous pour
toujours.
Quand les blanches ailes de la mort éparpilleront vos
jours, vous serez ensemble.
Oui, vous serez ensemble dans la mémoire silencieuse de
Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre entente.
Que les vents des cieux puissent danser entre vous.
Aimez-vous, l'un l'autre, mais ne faites pas de l'amour
un carcan:
Qu'il soit plutôt mer mouvante entre les rives de vos
âmes.
Remplissez, chacun, la coupe de l'autre, mais ne buvez
pas à la même.
Donnez-vous l'un à l'autre de votre pain, mais ne
partagez pas le même morceau.
Chantez et dansez ensemble, et soyez joyeux, mais que
chacun demeure isolé,
Comme sont isolées les cordes du luth, bien que
frémissantes de la même musique.
Donnez vos coeurs, mais pas à la garde de l'autre,
Car vos coeurs, seule la main de Dieu peut les
contenir.
Et dressez-vous ensemble, mais pas trop près l'un de
l'autre :
Car les piliers du temple se dressent séparément,
Et le chêne et le cyprès ne peuvent croître dans leur
ombre mutuelle.
4. Les enfants
Une femme qui tenait un nouveau-né contre
son sein dit : parle-nous des enfants.
Il dit :
Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles du désir de la Vie pour
elle-même.
Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous,
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous
appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos
pensées.
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez loger leurs coprs, mais pas leurs âmes.
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne
pouvez visiter, pas même en rêve.
Vous pouvez vous efforcer d'être semblables à eux, mais
ne cherchez pas à les rendre semblables à vous,
Car la vie ne revient pas en arrière et ne s'attarde pas
avec le passé.
Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles
des flèches vivantes, sont lancés.
L'Archer vise la cible sur la trajectoire de l'infini, et
Il vous courbe de toutes ses forces afin que les flèches
soient rapides et leur portée lointaine.
Puisse votre courbure dans la main de l'Archer être pour
l'allégresse,
Car de même qu'Il chérit la flèche en son envol, Il aime
l'arc aussi en sa stabilité.
|